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Pourquoi faire un livre photographique ?*
Un article
d’Annakarin Quinto
L‘auto-édition d’un livre comme forme d’art et de contestation a toujours existé. Néanmoins elle est devenue célèbre auprès d’un public élargi avec Twenty Six Gasoline Stations, publié en 1963 par Ed Ruscha. Ce livret de dimensions modestes (17.9 × 14.0 cm) contenant les photographies de 26 stations de service a non seulement révolutionné l’idée même de l’art à son époque mais a aussi donné toutes ses lettres de noblesse au livre comme medium possible de l’art en démocratisant cette démarche.
Grâce à la constante et rapide progression des technologies d’impression et de reproduction, à une plus grande culture de l’objet imprimé, à un désintérêt croissant vis-à-vis de la presse et de l’édition traditionnelles, au développement des réseaux sociaux, la démocratisation de l’édition a franchit un seuil supplémentaire ces dernières années. Les photographes peuvent aujourd’hui trouver des supports de diffusion autres que les media traditionnels (presse, galléries) et sont libres de concevoir, imprimer et promouvoir leurs travaux avec une facilité et une liberté sans précédents.
Mais pourquoi faire un livre ? Ceci devrait rester la première question à se poser parce que le livre pourrait ne pas être l’option appropriée.
Cela reste un investissement conséquent et peu en vivent voir même rentrent dans leurs frais. Si votre livre fait un carton, souvent le seul à gagner quelque chose sera celui qui revendra ses exemplaires sur Amazon ou Ebay lorsque le livre se fera rare. Mais cette tendance, qui a fait dire qu’il y avait un boom du livre photographique (boom tout à fait relatif qui est le fait de quelques petits milliers de passionnés dans le monde) est en plein ralentissement. Les deuxièmes éditions apparaissent plus rapidement, manière astucieuse pour ceux qui s’auto-publient ou les maisons d’édition indépendantes, de se ré-approprier des effets de marché positifs et ainsi capter ce qui souvent n’est que spéculation, pour le réinvestir dans de nouveaux projets. Par ailleurs, de manière générale, l’argent se raréfie et le marché donne des signes d’essoufflement.
Un livre bien conçu, produit et promu, peut par contre changer votre carrière et vous ouvrir les portes du marché de l’art et des circuits institutionnels. Prenons pour exemple la success story de The Afronauts de Christina de Middel. Ce livre non seulement a changé la carrière de de Middel mais a aussi marqué d’une nouvelle pierre milliaire l’histoire de l’auto-publication ouvrant la voie à toute une génération de créateurs d’images. Sans oublier qu’il s’agit d’un sujet exceptionnel pouvant plaire à tout le monde et traité avec talent visuel ainsi qu’intelligence narrative, The Afronauts, petit format lui aussi, a été publié à 1000 exemplaires, partiellement faits à la main, largement offerts aux personnes influentes du réseau du livre, de la photographie et de l’art, et mis sur le marché à un prix tout à fait accessible: 28 livres. Son succès est donc aussi du à beaucoup d’investissement, de travail, de passion et de détermination, le projet ayant été préalablement refusé par différentes maisons d’édition.
Pourquoi faire un livre donc ? Si votre but principal est de montrer vos images, le livre peut ne pas être l’investissement idéal. D’autres procédés d’exposition (tirages, projections, installations, performances, site web etc) ou un portfolio de qualité peuvent être plus adaptés. De même une présence ciblées sur les réseaux sociaux les plus adapté peut offrir une visibilité sans précédents. L’option « impression à la demande » proposée par de nombreux sites en ligne et accompagnée d’une présentation de la maquette sur Issuu est elle aussi à prendre en considération.
La question du pourquoi ne peut aller sans une réflexion sur le « pour qui ». Certains livres doivent être « lus » (avec ou sans texte, la question n’est pas là) et d’autres sont regardés. Ce ne sont la plupart du temps pas les mêmes processus de conception et de fabrication ni les mêmes coûts. Montrer des images est le propre des monographies, des catalogues, des ouvrages thématiques collectifs ou des portfolios. Ils accompagnent souvent une exposition, un événement, ou mettent en lumière une carrière, un collectif, une « famille » de photographes. Raconter une histoire, développer un regard, un univers ou une idée, créer une poésie ou un essai thématique (politique, philosophique, sociologique etc) font entrer le livre photographique dans le bien plus vaste champ du livre sans autre qualificatif. Ce que l’on semble parfois oublier dans le petit monde du livre photographique au sens strict, au sein duquel on a parfois la sensation qu’il n’y a de la place que pour le livre photographique d’art destiné à un petit marché de collectionneurs.
Le livre au sens large est un objet transitionnel, par essence collectif, destiné à un « autre ». Il sera transmis ou recommandé et parfois même traversera plusieurs générations. Il sera offert pour communiquer un message, partager passions, points de vue, poésies, idées. Un livre est supposé aller de main en main. Le livre est un medium, un support, à part entière. Il ne se définit pas que par le fait de passer d’une page à l’autre et, comme le cinéma, développe une écriture propre. Une image pleine page ou une image isolée n’auront pas le même sens, n’engendreront pas les mêmes émotions.
Une fois répondu à la question, le travail peut commencer. Voici quelques conseils :
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Lisez, regardez, touchez, feuilletez, écoutez (oui les livres ont un son), manipulez autant de livres que vous pouvez. Allez dans les librairies et parlez avec les libraires, allez dans les bibliothèques en quête de livres plus anciens, fouillez les bibliothèques de vos amis, cherchez des vidéos en lignes pour les livres que vous n’arrivez pas à trouver. Et prenez conscience que tout a été déjà fait. C’est ce qui va vous permettre de trouver votre propre voix en vous libérant de l’idée de vouloir faire à tout prix « différent », « unique ». N’essayez pas forcément à être original. En acceptant d’être pleinement vous-même, vous le serez forcément. Le style est une chose très subtile, parfois insaisissable. Prenons Friedlander. Ses images sont reconnaissables parmi toutes. Et pourtant sauriez-vous dire exactement pourquoi ? Il est probable qu’il ne se soit pas posé la question lui-même. Il a juste fait ce qu’il lui semblait efficace de faire. Une meilleure connaissance du monde du livre photographique vous permettra aussi de vous inscrire dans un mouvement ou de le créer et de mieux appréhender son marché.
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Définissez ce que vous voulez dire, choisissez votre sujet principal. Une bonne idée suffit et sera d’autant plus forte que vous vous y tenez.
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Définissez à qui vous souhaitez vous adressez. Si vous voulez transmettre votre passion du cheval, n’oubliez pas les amateurs de cheval. Cette étape défini en grande partie le « comment » : nombre d’exemplaire, tirage de tête, taille, prix de vente optimal, complexité de lecture, poids, papier, plateformes de promotions, dont les sites de crowdfunding font partie, etc.
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Cherchez la forme essentielle la plus adaptée. La complexité n’est pas toujours requise. Avec un travail photographique fort, une sélection sans concessions, une écriture visuelle exigeante, un texte réfléchi, le livre peut prendre une forme très simple. L’Algérie de Dirk Alvermann est un livre de poche dans sa forme mais un véritable documentaire de cinématographie immobile quant à son contenu. La sophistication ne doit pas occulter le contenu et rendre le livre inaccessible tant dans son prix que dans sa manipulation. Une production complexe oblige un prix de vente élevé, ce qui rend certains ouvrages inaccessibles au plus grand nombre alors que les démarches, histoires ou investigations contenues méritent une diffusion plus ample. Un livre plus simple aurait la plupart du temps parfaitement rempli sa fonction. Les bons livres peuvent être petits et accessibles, de vrais livres-compagnons à emporter dans son sac.
Si vous ciblez le livre d’artiste la forme est évidemment totalement libre et vous appartient pleinement. Vous vous adressez à des collectionneurs et non plus au grand public. Le livre n’est plus d’abord medium ou support mais d’emblée œuvre à part entière. La plupart du temps, il sera édité en très peu d’exemplaires règlementés par la loi et vendu à un prix élevé. Depuis les années 60, la tendance exactement inverse est aussi adoptée : édition très large ou à la demande sans numérotation et prix bas. Toute option intermédiaire risque d’avoir un positionnement indéfini et aura du mal à trouver le bon réseau de distribution ainsi que le public adapté, les collectionneurs compulsifs étant rares. Cela dit, on voit apparaître une nouvelle génération d’éditeurs développant une démarche originale et efficace en se faisant éditeurs-distributeurs et créant un lien fort et intime avec les collectionneurs.
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Tenez à l’esprit que livre est un objet, et un objet transitionnel de surcroît. Il abrite émotions et attentes. Il permet d’aborder le réel tout en gardant une distance. Il a un pouvoir hypnotique permettant d’accéder à des espaces inconnus de nous mêmes. C’est un objet que l’on touche et manipule et cette manipulation doit être en pleine harmonie avec son sujet. Pensez votre livre comme vous penseriez un film, une musique, une sculpture, une promenade, un voyage et même comme un corps composé d’une colonne vertébrale habillée de peau et de sang.
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Si vous ne pouvez pas vous permettre un graphiste pour l’ensemble du livre, restez simples mais ayez recours à un regard professionnel au moins pour la couverture. C’est ce qui attirera la public et démarquera votre ouvrage au milieu des autres.
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Prenez le temps de trouver le titre parfait. C’est aussi important que la couverture. Sur une table de librairie ou de concours vous n’avez que quelques instants pour captiver le regard et inciter à la découverte de l’intérieur. Le titre parle pour vous. Pensez à faire de petites recherches sur internet sur vos intentions de titres. C’est toujours enrichissant et vous évitera de choisir le même titre d’un autre ouvrage auquel vous ne voulez pas faire référence. Evidemment, dans les pratiques de réappropriation ou les hommages, vous pouvez tout à fait adopter le titre de l’œuvre source de votre inspiration. Mais cela doit être clairement affirmé et faire partie du processus de conception.
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Soyez exigeant avec vous mêmes lors de l’editing et de la mise en place des séquences. Soumettez, tout au long du processus, vos options aux regards extérieurs. Comme le cinéma, le livre est un objet collectif à toutes les étapes de sa fabrication et tout commence lors de ce moment fondateur qu’est le choix des images et leur organisation en séquence(s). Bâtissez votre structure autour de l’idée de départ et tenez vous-y de la même manière que se construit un raga ou une jam jazz. Tout est permis afin de faire passer voter message et c’est là que s’exprime toute la puissance évocatrice du livre et votre créativité. Ne faites pas confiance au visuel. Le visuel seul est en général ennuyeux (sauf peut-être dans le cas des livres catalogues ou monographiques). Tout est question de flot, de rythme, d’occupation d’espace, d’associations de page en page. Le livre, la page, les pages, ont un langage dynamique propre qu’il faut entièrement exploiter afin d’exprimer pleinement le concept établi au départ. Il doit en émerger comme une surface invisible autre que la face des images. Ce sera votre mélodie propre et unique. Et gardez un peu de mystère.
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Et dernier conseil, peut-être le plus important : n’oubliez jamais mais jamais d’être vous-mêmes et si le cœur vous en dit, bravez tous les conseils ci-dessus. Avec panache.
*Texte revu et corrigé pour une publication sur internet.
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